
Médecin-vétérinaire, Franc-maçon, Professeur à l’Université, Pierre Hary Dumorney dit Doc Filah est surtout connu en Haïti pour ses talents de rappeur, compositeur, arrangeur, et beat maker.
Même au moment où le rap haïtien était souvent mal vu par bon nombre de personnes dans notre société, Doc Filah savait imposer ses barres.
Rap conscient, rap savant, rap intello, rap haut-perché, sont les vocables utilisés pour qualifier l’oeuvre du chanteur.
Intervenant à la dernière édition de Dimanche Littéraire, le Doc se dit fier d’être à la fois un rappeur et quelqu’un qui peut contribuer au développement de la société sur d’autres aspects.
» M tap santi m manke si m te rapè epi m pat ka itil sosyete a sou yon lòt pwen, ni si m te medsen m pat rapè oubyen tou si m te rapè m pat atis », a t-il lâché ironiquement avant d’avouer qu’il connait des rappeurs qui pourtant ne sont pas des artistes.
Si l’on doit hiérarchiser les rappeurs en fonction du nombre d’albums, d’EP ou de titres, le cerveau de Majik-Click serait parmi les plus paresseux. Ce que lui-même il reconnait. Cependant, en terme de contenu, il représente fièrement sa génération et le rap créole en général. C’est ce mixage entre ses contenus et son savoir-faire qui fait de lui un référent du Hip-Hop en Haïti.
Dans l’ASTRE( Akrilik sou twal rezon ), le chanteur s’est fait un guide pour orienter ceux et celles de son milieu qui, peut-être, rêvent de l’extraordinaire mais ne savent pas comment s’y prendre.
« Vrè bonè pa chita sou tèt mòn nan Men se nan fason w monte l. Menm si anpil jou pase ou rete wap vire Nan yon sèl pwen plizyè 360 degre Pa etone ak kouraj ou ka rive nan somè a . » Ces barres introductrices sont en somme un proverbe d’un vieux qui se soucie de ses descendants.
Le fait pour lui qu’il soit hip_hopeur implique qu’il est un être conscient. Et le fait qu’il soit Doc Filah, sa conscience de notre réalité de peuple doit être exprimée différemment. Il y a le dire et le bien-dire. Ça le Doc en est conscient. Sa collaboration avec B.I.C. qui a pour titre « Rap prezidans » en est une preuve. Dans ce hit d’environ 5 minutes, il a passé en revue les grandes lignes de notre histoire teintée de trahisons, d’animalités, de corruptions, de frustrations et autres.
Que dire de « Jounen nwa nuit Blanch »? Dans ce featuring avec PIC, Doc Filah s’est présenté avec son pinceau fait de mots contradictoires et d’harmonie manquée pour peindre une réalité à laquelle fait face notre société depuis un long moment: » imnasyonal chante timoun lekòl nan kabann Lendi pou rive vandredi jou lekòl paske dwe Lekòl ki pote kalifikatif prive San rezistans okenn enstans enpoze pri l vle. »
Ces derniers vers sont le tableau d’une société haïtienne déchirée par la frustration, le désespoir et l’anarchie.
Comme pratiquement tout intellectuel digne de ce qualificatif, la classe paysanne n’est pas écartée du feu de la plume du Médecin-rappeur. Ce que témoigne « ADD(Andeyò Dòmi Deyò) ».
Bien que ce titre soit un collabo, il n’est aucunement écarté de la philosophie de notre Doc: » Pou n devlope fòk tout bagay byen poze. Pa bliye nou gen anpil bèl pwovens E se yo kap sipòte lakay, Fòk nou dekonjesyone tout peyi a »
Histoire, littérature, philosophie, tout y est quand on parle de Doc Filah. On l’aime certes mais, il n’est pas facile à saisir. Il est aussi connu pour la densité de ses barres.
» Yon pous se 12 pye Sepandan m bezwen 10 zòtèy pou m kanpe sou 2 pye », chante-il dans rapmatik.
Mais où est passé Majik Click?
Pour l’heure ce n’est qu’un esprit. Ils ont commencé en groupe mais abouti en solo. Selon les dires du chef de file de cette structure musicale, le groupe est disloqué pour l’instant mais, son esprit plane encore sur les oeuvres du Doc. Ce dernier a fait savoir que c’est dû aux conséquences du tremblement de terre du 12 janvier 2010 qui a ravagé le pays. Les détails sont nombreux mais, il les garde. Les linges sales se lavent en famille. »
N’est pas mélomane qui n’a jamais écouté un morceau de l’ASTRE, ou une collaboration de « Nèg sèvo a », dirait un « Tizè » de Doc Filah. L’ASTRE, cet opus qui est sorti en 2013, est l’expression même du vieux dicton français « Qualité vaut nombre! » C’est vraiment du upscale!
Le public est resté sur sa soif avec cette pause brusque que marque le chanteur. Mais, il nous promet de revenir sous peu.